Jan. 5th, 2022

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Pourquoi le lire ?

- La lecture est agréable, le texte coule tout seul
- L'auteur s'appuie sur diverses sources, avec une attention particulière pour les journaux de l'époque (merci Gallica et Retronews) dont il se sert habilement pour transporter le lecture dans l'esprit de l'époque
- On en sort forcément mieux informé et plus intelligent

Ce que j'ai appris (non exhaustif)

- Le 23 juin 1994, Je suis partout qui tire encore à 400 000 exemplaires publie un éditorial où les fantasmes ridicules de victoire nazie se mêlent à leur habituel antisémitisme rance. Reprenant à sa sauce le titre et l'histoire d'un texte d'avant-guerre signé Léon Daudet, le "Napus", il y est question d'armes formidables qui pulvérisent la "vermine" désignée par les nazis et leurs collaborateurs zélés pour le bien des générations futures. L'auteur de cette oeuvre infâme se nomme Charles Lesca. Il est mort dans son lit, quelque part en Argentine, en 1948.

- Le portrait que Je suis partout consacre à Edouard Daladier nouveau président du Conseil en avril 1938 est étrangement attentiste, alors même qu l'indépendance du capital est pour lui inacceptable par principe, d'autant plus que la relance de la production militaire imaginée par Blum avait pour objectif de se défendre contre l'Allemagne nazie. Aux yeux des Daudet et consorts en effet, la mesure la plus urgente en cas de guerre serait plutôt "l'envoi en camps de concentration de tous les Juifs allemands et autrichiens chassés (...) et installés chez nous". Si la décence lui interdit de soutenir les pogroms, l'extrême-droite courant Action Française est si profondément antisémite qu'elle imagine que les Juifs persécutés formeraient une "cinquième colonne" en France en cas de guerre contre le pays qui les martyrise...De l'idéologie qui rend aveugle.

- Au lendemain de l'Anschluss, le seul quotidien français est favorable à l'envoi d'un ultimatum à Hitler, il s'agit de l'Epoque, d'Henri de Kerillis, un petit journal de droite conservatrice et antinazi.

- La question des fausses nouvelles est centrale cette année-là, avec une plus grande intensité lors de l'invasion des Sudètes par l'Allemagne.

- Le Parti radical-socialiste vire à droite toute à cette période. Sur le plan économique, il remet en cause l'héritage du Front populaire, fustige le nombre de fonctionnaires et d'étrangers en France, met en place une politique résolument libérale en faveur des entreprises.

- Pierre-Etienne Flandin, président de l'Alliance Démocratique, parti de droite "classique, est l'un des acteurs de cette droitisation du paysage politique traditionnel, envoie le 30 septembre 1938 une missive à Hitler (!) : "Vous prie d'agréer mes chaleureuses félicitations pour le maintien de la paix avec l'espoir que naîtra de cet acte historique (Munich) une collaboration confiante et cordiale entre les quatre grandes puissances européennes". Certes, le comité directeur du parti condamne l'initiative de Flandin. Celui-ci persiste et signe ; il déclarera même que les régimes totalitaires ont le mérite "d'affronter le premier des problèmes, qui est celui de la race"...Et il sera malgré tout réelu président du parti qui est à l'époque celui de Tixier Vignancour également.

- Les réformes libérales de Daladier sont décidées par des décrets-lois. Il est question d'assouplissement des quarante heures, de mettre fin aux "rigidités" afin d'encourager "l'esprit d'entreprise". Un éditorial de Léon Blum résume cette trahison du parti radical socialiste : "Notre Honte", paru le 16 novembre 1938 dans Le Populaire. 
Ces décrets-lois sur la politique économique et sociale contiennent également les mesures liées à la police des étrangers. "Une immense bureaucratie des migrations commence à se mettre en place". 

- Le 6 octobre 1938, Daladier obtient les pleins-pouvoirs du Parlement. Ils sont 73 à voter contre, 331 votent oui et les socialistes s'abstiennent. Cette bascule se fait le même jour que la démission d'Edouard Bénès en République tchécoslovaque. A la suite du discours de Daladier maintenant en possession des pleins pouvoirs, il est félicité par la quasi-intégralité du spectre politique pour sa politique intérieure en faveur, pense-t-on, de la paix. Gabriel Péri, pour le PCF, est l'un des seuls à le critiquer sur ce point : "Vous avez signé la défaite sur le corps mutilé d'un peuple libre ; c'est contre vous que nous gagnerons la victoire de la paix".

- La ligne de conduite de Daladier peut être résumée par lui-même, en réponse notamment à Léon Blum : "On a écrit des articles savants sur la contagion des dictatures. Ce n'est pas par le désordre que l'on arrêtera la contagion ; c'est en donnant l'exemple de l'ordre". 

- 1938 est aussi l'année de la fondation de l'Institut français d'opinion publique (IFOP) par Jean Stoetzel. La première question posée dans le premier sondage réalisé en France est : "Approuvez-vous les accords de Munich ?" 57% des Français répondent oui, 37% non et 6% s'abstiennent.

- Dans le contexte de la conférence d'Evian, l'hostilité voire la haine envers les étrangers est affichée au grand jour. En 1939, les démocraties occidentales refusent d'accueillir le Saint Louis, un paquebot parti de Hambourg qui transporte notamment des Juifs. Il prend la direction de Cuba où il est brusquement refoulé par le président Laredo. Le Matin, qui n'est pas vraiment un journal d'extrême gauche, écrit : "Que feront les démocraties pour qu'en plein XXe on ne laisse point ces milliers d'êtres humains sans un morceau de terre et de pain ?"

Intro

Un endroit tranquille qui ne sera pas souvent dérangé, en conséquence.