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Sébastien Charles, auteur de l'ouvrage "De la Postmodernité à l'Hypermodernité" (2006) est critique envers ce qu'il nomme l"hypermodernité. Il s'agit, selon la définition qu'il en donne d'une "modernité dépourvue de toute illusion et de tout concurrent, c'est à dire une modernité radicale".
Cette tendance serait délétère par sa propension à exacerber à l'extrême les fondements de la modernité : droits des individus jusqu'à l'individualisme, démocratie et expression libre, économie de marché et techno-science.
Il écrit : "par « hypermodernité », il faut entendre une société libérale caractérisée par une logique paradoxale, qui existait déjà dans la modernité mais qui est désormais poussée à l’extrême, où coexistent d’un côté la crispation, la réaction, le conservatisme, le repli identitaire, le retour à la tradition, mais à une tradition recyclée par la logique de la modernité; et de l’autre, le mouvement, la fluidité, la flexibilité, le détachement à l’égard des grands principes structurants de la modernité (la Nation, l’État, la religion, la famille, les partis politiques, les syndicats), qui ont dû s’adapter au rythme hypermoderne pour ne pas disparaître".
Il juge que l'hypermodernité est par nature contradictoire :
- les conduites responsables des individus augmentent car ils sont mieux informés mais les conduites irresponsables semblent plus courantes car la société est moins structurée, idéologisée, ce qui rend les comportements des personnes moins prévisibles
- l'offre de divertissements explose, l'hédonisme avec lui, mais l'anxiété a tendance à augmenter
L'époque hypermoderne semble, selon l'auteur, donner raison au philosophe Heidegger qui dénonçait l'utilisation de la technique sans autre finalité que son propre développement, que le renforcement de son propre empire sur "les hommes et les choses". Bref, une technique qui serait détachée de sa vocation première, le désir de soulager l'humanité de ses difficultés.
Charles nuance cela car il note que des valeurs de la société moderne échappent encore au consumérisme : l'affectivité, le souci de la vérité, les droits de l'Homme.
A première vue, le nihilisme nietzschéen semble accompli: la transcendance a été évacuée du champ social, les autorités traditionnelles ont moins d’autorité, le relativisme moral semble prévaloir (...à nuancer!). Toutefois, il faut admettre qu'une intolérance reste largement partagée vis à vis de la violence, que le respect des droits de l'Homme dans nos sociétés demeure (heureusement) consensuel... L'hypermodernité n'est donc pas dépourvue d'éthique. Le bénévolat est encore plébiscité, les valeurs démocratiques sont encore perçues comme utiles et sont défendues, le chaos social ne règne pas en maître...
“Certes, le souci éthique ne se vit plus comme par le passé selon la logique du devoir sacrificiel et il doit être pensé sous la forme d’une morale indolore, optionnelle, qui fonctionne plus à l’émotion qu’à l’obligation ou à la sanction et qui s’est adaptée aux nouvelles valeurs d’autonomie individualiste. Mais cette phase postmoraliste qui caractérise nos sociétés aujourd’hui n’entraîne pas la disparition de toute valeur éthique.”
Ce n'est peut-être donc pas l'individualisme en soi qui est le véritable danger, mais plutôt la dissolution presque totale de l'encadrement des individus (partis, syndicats, églises...). Les valeurs restent, mais elles sont diffusées par les marges de la société, via les médias de masse et/ou les réseaux sociaux. Pour les auteurs, la différence principale avec l'encadrement des individus "à l'ancienne" est la logique de consommation qui prévaut dans la diffusion de ces messages. Les individus de nos sociétés "hypermodernes" seraient dépourvus d'attaches profondes, habitués par l'omniprésence de la publicité, à une forme d'indifférence vis à vis des messages, et par conséquent beaucoup plus difficile à mobiliser, à émouvoir.
Il faut noter à ce stade que les auteurs font attention à ne pas sombrer dans la caricature totale, soulignant que les médias ont des effets positifs : diversification des sources d'information, expression de sensibilités politiques diverses, débat collectif...
Conclusion: L’hypermodernité n’est ni le règne du bonheur absolu, ni celui du nihilisme total. En un sens, ce n’est ni l’aboutissement du projet des Lumières, ni la confirmation des sombres prévisions nietzschéennes.
"Jamais une société n’a laissé une autonomie et une liberté individuelles aussi larges s’exercer, jamais son destin ne s’est trouvé autant lié aux comportements de ceux qui la composent. C’est pourquoi la responsabilisation du plus grand nombre peut seule nous garder des maux engendrés par l’hypermodernité. Sans responsabilisation véritable, les déclarations d’intentions vertueuses dénuées d’effets concrets ne suffiront pas. Il va falloir valoriser l’intelligence des êtres humains (...) La responsabilisation doit être collective et s’exercer dans tous les domaines du pouvoir et du savoir, mais aussi individuelle, car il nous revient en dernier lieu d’assumer cette autonomie que la modernité nous a léguée et de comprendre que le futur n’a jamais été autant déterminé par les décisions du présent que nous choisirons de prendre ou de ne pas prendre. Au fond, ce qui nous guette à court terme c’est moins une nouvelle ère de barbarie qu’une immense fatigue, cette fatigue d’être soi dans un monde où chaque moi doit sans cesse choisir, redéfinir et justifier son mode d’existence, tout en assumant ses responsabilités de plus en plus complexes d’acteur social et politique dans un monde de moins en moins lisible et compréhensible."
MACHIAVEL: “tous les hommes louent le passé, et blâment le présent, et souvent sans raison”. (Discours sur la première décade de Tite-Live)
FRANÇOIS HARTOG: distingue des régimes d’historicité. Le régime moderne est axé sur le futur temporel et donc sur l’optimisme du progrès à venir. Ce régime est en crise et semble s’effacer au bénéfice d’un nouveau régime basé sur le présent.
PAUL VIRILLIO : sur le Temps.
HARTMUT ROSA, Accélération. Une critique sociale du Temps, 2010.
=> Le sentiment de voir l’histoire en train de s’écrire, dans un contexte d’accélération du changement technique et social.
ASCHER, La société hypermoderne. Ou les événements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs: Au centre de cet ouvrage, une métaphore: la société contemporaine ressemble à un hypertexte informatisé, dont les individus sont comme des mots ayant divers liens puisqu'ils participent à plusieurs champs sociaux (travail, famille, quartier…). François Ascher prend le contre-pied des thèses sur la "post-modernité", qui considèrent que la société occidentale traverse une crise telle que les fondements de la modernité sont en cours de dissolution. Pour lui, au contraire, les phénomènes caractérisant la modernité se développent: ainsi, notre société va aujourd'hui encore plus loin dans les processus d'individualisation, de rationalisation et de différenciation sociale qui ont marqué la dynamique du capitalisme.
Les liens sociaux ne sont pas, comme on le dit trop souvent, en voie de délitement, mais ils deviennent plus nombreux et choisis.